En 2012, l’AS Dirinon, en Finistère, créait son équipe de seniors féminines. Dix ans plus tard, certaines des joueuses de l’époque reviennent sur une période exaltante et sur l’évolution de la pratique.

Ce sera en mai ou en juin 2022, au complexe Olivier-Kerdraon, à Dirinon (Finistère). Les « vieilles gloires » de l’équipe féminine de foot locale, l’AS Dirinon, affronteront les joueuses actuelles. « Il va falloir qu’on se remette à courir d’ici là », rigole Karine Kerdraon, la co-présidente du club.

Rechausser les crampons pour les dix ans de la section féminine senior, c’était une évidence pour toutes celles qui l’ont fondée en 2012. Car si les clubs de foot accueillant les femmes sont désormais légion en France, cela n’a pas toujours été le cas. Karine Kerdraon a dû arrêter de pratiquer à l’adolescence. « On pouvait jouer en mixte jusqu’à 13 ans, mais après, il n’y avait plus
rien ici pour les filles. Il aurait fallu que j’aille au Bergot, à Brest, ou à Ploudaniel, mais mes parents n’ont pas voulu. » Des années
plus tard, en 2012, celle qui est devenue mère de famille n’a pas oublié la déception ressentie à l’époque. Alors, « avec une bande
de copines, on s’est lancées », rembobine-t-elle.

«Dans le coin, on était les premières », se souvient Agnès Guyader, actuelle coache adjointe de l’équipe évoluant en R2 féminine.

« On jouait avec des mamans »

Chacune ramène « une ou deux filles », et rapidement, « on est arrivées à faire deux équipes », se souvient Agnès Guyader. Elle aussi a commencé le foot enfant, à Logonna-Daoulas, non loin, « mais moi, mes parents ont accepté de m’emmener à Ploudaniel pour que je continue », sourit l’actuelle coache adjointe de l’une des deux équipes féminines seniors de Dirinon, qui évolue en Régionale 2 (R2). .

Parmi les recrues, il y a également Charlyne Scao, 17 ans. Son truc, à ce moment-là, c’est plutôt le rugby, qu’elle a pratiqué au lycée. Mais ses hésitations sont vite balayées par l’envie de soutenir le club de chez elle. « Mon père et mon frère ont joué à l’AS Dirinon, c’était évident d’y aller s’ils créaient une équipe féminine. » Venue « pour dépanner », elle est toujours là, dix ans plus tard. C’est même la capitaine de l’équipe de R2. Toutes se souviennent bien de l’ambiance de l’époque. « C’était épique », rigole Charlyne Scao, citant des effectifs allant de 15-16 ans à plus de 40 ans. « On jouait avec des mamans. Ça peut faire bizarre sur le papier mais c’était hyper fluide. » « On ne loupait pas un entraînement et on allait à tous les matches, ça, c’est sûr », ajoute Karine Kerdraon.

Venue du rugby, Charlyne Scao a accepté d’intégrer l’équipe « pour dépanner, pendant un an ». Dix ans plus tard, elle en est la capitaine.

Plus que les performances sur le terrain, c’est cette bonne ambiance qui « donne envie » à d’autres recrues, comme Erell Kerdraon, alors âgée de 15 ans, de les rejoindre en cours de saison. Dix ans plus tard, Erell Kerdraon, 25 ans, joue dans l’équipe évoluant en D2 féminine.« Ça me rend presque nostalgique de m’en souvenir, parce que ce n’est plus pareil aujourd’hui », glisse Charlyne Scao. L’âge moyen, chez les seniors, tourne cette saison autour de 20-21 ans. Et surtout, il n’y a plus ce côté « pionnières ». « Le foot féminin s’est beaucoup développé. »

Dans un rayon de 15 kilomètres, on trouve aujourd’hui des seniors féminines à l’Entente sportive du Cranou (Le Faou, Rosnoën et Hanvec), au Football associatif de la rade (Daoulas, L’Hôpital-Camfrout et Logonna-Daoulas) et au Plougastel FC. Ce jour-là, le 30 janvier, les filles de Dirinon jouent contre la Jup, la Jeunesse Unie de Plougonven. Elles l’ont emporté deux à un grâce à un doublé d’Audrey Gillet, leur permettant de se hisser à la 6e place du championnat de R2. « Pour les déplacements, c’est bien parce que c’est moins loin, mais trop de clubs, trop proches, ce n’est pas forcément bon au niveau des effectifs », selon Agnès Guyader. « Pour tenir la saison, il faut un groupe de vingt », explique Tristan Paillard, coach de l’équipe en R2 féminine, soit quasiment deux fois plus que pour le hand ou le basket.

« On n’entraîne pas les filles comme on entraîne les gars »

Si l’on ajoute à cela des départs fréquents de joueuses, pour leurs études ou travailler dans une ville éloignée, on comprend à quel point il peut être difficile de maintenir une équipe senior. La crainte, c’est alors de devoir mettre un terme à une belle aventure faute de joueuses, comme l’a vécu, en 2020, le Bodilis-Plougar FC, contraint de quitter championnat de R2 féminine, malgré la cinquième place obtenue cette saison-là. « Le foot féminin, c’est loin d’être gagné, ça reste très fragile », analyse la co-présidente. Une pratique encore « mise en péril » par le fait que « certains clubs peuvent décider d’en faire pour de mauvaises raisons ».

Karine Kerdraon fait allusion aux points décernés par la Fédération aux clubs créant leur structure féminine, leur permettant d’accéder plus facilement à un label. Une manière d’encourager la pratique, mais pour la co-présidente, mieux vaut d’abord s’assurer de bien faire les choses. « C’est du travail une équipe féminine : il faut trouver le terrain, les arbitres, et surtout les coachs. On n’entraîne pas les filles comme on entraîne les garçons. Si ce ne sont pas les bonnes personnes pour elles, elles arrêtent beaucoup plus vite car pour une majorité, c’est quelque chose de nouveau. »

Dans l’approche comme dans le jeu, les différences existent entre les filles et les garçons, selon leurs coachs, Tristan Paillard et Agnès Guyader. Ces différences dans le coaching, Tristan Paillard les a découvertes il y a deux ans, après plus de 25 ans à entraîner des garçons dans différentes catégories. « Pour les galvaniser comme pour les recadrer, il faut trouver les bonnes paroles, être moins direct. » Un côté « rentre-dedans » dont feraient également moins preuve les filles sur le terrain, cherchant plus, « techniquement, à jouer au foot ».

La quête de la mixité

De nos jours, la mixité ne s’arrête plus à 13 ans mais à 15 ans, permettant aux adolescentes de jouer plus longtemps dans un club ne comportant pas d’équipe senior féminine. À l’AS Dirinon, filles et garçons sont dans la même équipe jusqu’à 11 ans, « ensuite, les filles se retrouvent entre elles, dans une école de foot spécifique, explique le coach. On les récupère en catégorie U18 (N.D.L.R. : en dessous de 18 ans, ou under 18) puis en seniors. » Elles ne vivent pas pour autant éloignées des garçons. « La mixité, c’est vraiment quelque chose qu’on recherche ici, reprend Karine Kerdraon. Dans le savoir-vivre ensemble, dans le coaching, dans la présidence. » À la tête du club – qui compte un co-président et une co-présidente -, la parité est parfaite. La plupart des équipes sont également entraînées par un homme et une femme. « Pour les petits gars aussi, c’est bien qu’il y ait un regard féminin. »

Après 26 ans à entrainer les garçons, Tristan Paillard, à gauche, découvre avec plaisir le coaching des seniors filles. « Techniquement, ça joue plus au foot »,

« On montrait peut-être un peu trop le foot féminin »

Si aujourd’hui, l’existence des seniors féminines n’est remise en question par personne à l’AS Dirinon, la co-présidente se souvient toutefois « qu’on n’a pas été accueillies à 100 % par une minorité du club. Pour des questions d’organisation, et aussi peut-être parce qu’on montrait un peu trop le foot féminin à l’époque ». L’année de la création de l’équipe féminine coïncide en effet avec une belle distinction pour l’école de foot féminine, classée meilleure école de France. « Elles ont été reçues à Clairefontaine. Les petits gars, et même les plus âgés, ont pu mal le prendre, c’est normal. » Mais en dehors de ces aspects, toutes l’assurent : « Le fait que des filles fassent du foot n’a jamais été un problème ici. »

Une culotte plutôt qu’un short

Si des différences se font sentir, il faut plutôt les chercher à un échelon plus élevé. Le 20 novembre 2022, les joueuses du Cercle Paul-Bert (CPB) à Rennes faisaient parler d’elle en montant sur le terrain en maillot et culotte. Une manière de protester contre le fait qu’en Coupe de France, les équipes féminines arrivées à un certain stade reçoivent de la Fédération un maillot, contre une tenue complète (maillot, short et chaussettes) pour leurs homologues masculins. « On avait pensé faire la même chose avant elles », se souvient Karine Kerdraon. « C’est sûr que ce n’est vraiment pas normal », soupire Charlyne Scao, reconnaissant qu’à l’époque, la colère avait été éclipsée par « la fierté de jouer, deux années de rang, au niveau fédéral contre des équipes comme Le Mans ». La charge la plus lourde vient du coach masculin, Tristan Paillard : « A un moment, si la Fédération est capable de payer un short et des chaussettes aux gars, elle peut le faire pour les filles aussi… Ils veulent développer le football féminin, mais ils ne s’en donnent pas les moyens. » D’autant plus dommage selon lui que « la Coupe de France est une vitrine ».

Pas le même statut ?

Charlyne Scao n’a pas oublié non plus qu’à l’automne 2020, en pleine deuxième vague de Covid, le championnat de D2 féminine a été arrêté en même temps que celui des amateurs, filles comme garçons, tandis que les pros masculins ont pu continuer à jouer. « Visiblement, au niveau de la Ligue, on n’a pas le même statut… » S’il est « beaucoup plus facile de faire du foot féminin aujourd’hui qu’il y a 40 ans », ainsi que l’apprécie la co-présidente, il semble donc y avoir encore un peu de chemin à parcourir pour parvenir à une parfaite égalité.

« On suit les filles comme on suit les gars »

La bonne nouvelle, c’est que les regards sur la pratique ont, eux aussi, changé, aidés en cela par les bons résultats, et forcément la médiatisation, de l’équipe de France féminine. Charlyne Scao en est convaincue : « On suit les filles comme on suit les gars aujourd’hui. » Aux dires d’Agnès Guyader, les premières auraient même supplanté les seconds dans le cœur de certains spectateurs « un peu dégoûtés du foot masculin pro, à cause des chichis et des roulades quand on a mal ».